Michel Bühler

Simple histoire


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Je pense à vous souvent: le père, dans sa moustache,
Trônait en bout de table, et distribuait le pain.
Dans le champ du voisin, l'aîné gardait les vaches,
Ramenant une odeur d'écurie et de foin.
C'était avant les guerres, avant les deux dernières.
Aux repas, vous aviez toujours trop d'appétit.
Les cadets finissaient les habits des grands frères,
C'est votre simple histoire, et c'est toute une vie.


Je pense à vous souvent: vous avez eu mon âge,
Lui, chapeau sur l'oreille, toi, en tablier blanc.
Sur le Rhin s'amassaient de sinistres nuages...
Vous étiez amoureux, et c'était le printemps.
Vos baisers s'envolaient des lilas aux cerises,
Le voyage de noce eut lieu dans le midi.
Un matin l'on apprit que Paris était prise,
C'est votre simple histoire, et c'est toute une vie.


Je pense à vous souvent: il rentrait de l'usine,
Avec le contremaître, il avait eu des mots.
Et les journées coulaient, les enfants, la cuisine,
Le tricot du soir, à côté de la radio.
Les fins de mois, bien sûr, n'étaient jamais faciles,
J'ai su plus tard que vous pleuriez parfois, la nuit.
Les deuils suivaient les noces et les vacances en ville,
C'est votre simple histoire, et c'est toute une vie.


Je pense à vous souvent. Lorsque l'été s'arrête
Tu fais des confitures pour les petits enfants.
La maison est si calme, c'est comme après la fête:
On sourit de fatigue et de contentement.
Dans le grenier secret, au fond d'une valise,
J'ai trouvé un jouet fait de ses mains à lui.
Devant tant de tendresse, c'est le temps qui s'épuise!
C'est votre simple histoire, et c'est toute une vie.